Sous la pluie PM RESERVER

La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi…

De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n’en vit,
Ce midi encore l’image,
Vague et lointain me ravis…

C’était des pierres inouïes,
Et des flots magiques ; c’était
D’immenses glaces éblouies
Par tout ce qu’elle reflétaient !

Humide, cet endroit, tu ne trouves pas ? En tout cas, il y a plus agréable comme lieu. Et c’est avec un dégoût visible que la jument avançait vers les rapides. Ou plutôt vers la chute qui concluait ce court d’eau. Violente et brusque, comme fin.

Oui, elle était chochotte. Mais pourquoi ne le serait-elle pas ? Les juments étalons-manqués ne lui inspiraient que mépris. Elles ne sauraient jamais profiter des opportunités. Elle, si. La preuve. N’avait-elle pas survécu jusqu’à là ? Ces Esclaves .. Un sourire virant à la grimace écorcha son visage. Que c’était drôle, que c’était jouissif .. Tout ces petits êtres, leurs yeux crevant de rêves enfantins et inutiles, quémandant leur part de joie et de plaisir .. Tss. Il fallait vivre au dessus de ça, au dessus des besoinsautres que vitaux. L’amour, le plaisir, n’avaient pas leur place ici. Non, ilfallait juste survivre. Masque de beauté cachant un champs de ruines. Oui,c’était exact. Un champ de ruine qu’aspergeaient chaque jour la lymphetransparente qui échappait de son cœur. Pauvre bête. A peine assez fort pour battre quelques secondes, une pauvre bête qui ne demandait qu’à vivre. Et qui chaque jour était battu, torturé, laissé là, mort, les plaies à vif, parce que son existence même était rejetée. Oui, il y avait des cœurs qui se portaient mieux que celui-ci. L’âme de Hel le rejetait. En avait-elle une ? Oui, certainement. Après tout, l’âme est responsable de la conscience, non ? On ne pouvait pas lui renier qu’elle était intelligente. Futée. Rusée. Pour en arriver ou elle était, oui, il ne fallait pas être écervelé.

D’un coup de queue, elle battit ses flancs, agacée. Chaque jour, ce petit être qu’elle ne parvenait pas à supprimer lui rappelait sa faute, l’égard qu’elle s’était accordé. Oui, elle avait ressenti quelque chose. Mais elle ne pouvait se permettre de perpétrer sans arrêt cette erreur. Elle n’était pas faite pour aimer. Elle était là pour vendre son amour aux autres. Sinon ..

Un frisson traversa son échine. Oui, se retrouver seule, démunie, avait été sa plus grande crainte. Elle préférait se vendre plutôt qu’être seule. Mais elle fut interrompue dans ses pensées par un bruit de pas. Trop lourd pour une biche. Trop léger pour une grosse bête. Trop bruyant pour un rédateur. Etalon ? Hm, à sentir l’odeur qui en émanait, oui. Son sourire se transforma en deux lèvres entr’ouvertes, laissant découvrir les dents de la jument. Sa langue passa sur celles-ci. Oui, elle était alléchée par l’arrivée d’un nouveau. Elle allait pouvoir se remettre en chasse. On n’échappa pas à Hel. On ne va pas en cure de désintox’. On reste Addict toute sa vie. Jusqu’à la mort.

Elle referma ses lèvres. Tout de même, il fallait être présentable, non ? Son dos se creusa, accentuant les courbes de la croupe de la jument. Oui, elle était plutôt ronde. Mais quel intérêt y avait-il aux squelettes ? C’était des courbes avantageuses qui attiraient l’œil. Car on peut toucher ce corps. Le caresser. En rêver la nuit.

Elle se remit en marche, préférant un pas à l’air mélancolique à un trot qui la ferait suer. Il fallait paraître sous le meilleur jour.

Chéri, tu n’as même pas idée de ce qui t’attends ..

Peut-être s’était-elle trompée, en fin de compte. Plus aucun son ne se faisait entendre, même pas une respiration. Même pas un battement de cœur. La jument plissa ses yeux. Etrange. Comme quoi même la meilleure pouvait se tromper. Elle détendit les nerfs qui s’étaient noués dans son dos. Faut croire que ça stresse, cette impression d’avoir toujours quelqu’un autours d’elle. Elle n’avait pratiquement pas dormi, ces temps-ci. Son imagination lui jouait des tours.

Elle était seule. Du moins le croyait-elle. Aussi laissa-t-elle ses crins retomber devant ses yeux, son dos remonter, ses membres se reposer. Elle avait été stupide. Qui pourrait vouloir observer la violence des eaux ? Non, ce n’était pas un endroit fréquenté

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Ses yeux se posèrent sur la grotte. Ou du moins, sur l’ouverture qui paraissait apparaître derrière l’eau écumante. Un frisson la traversa. Elle n’aimait pas le noir. Elle n’aimait pas les trous. Elle n’aimait pas les grottes. Elle ne comprenait pas comment la première porteuse de son nom avait réussi à vivre dans les Enfers. Oh, certainement, entourée de serviteurs stupides et obéissants, cela devait être plus facile. Il n’empêche que .. Elle ne pourrait pas vivre sans la lumière du jour. Le jour la paniquait, la transformant en la pouliche qu’elle avait été. Peureuse. Une part d’elle qu’elle n’avait toujours pas réussi à rayer

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Repos. Elle laissa ses crins virevolter au vent qui commençait à monter, poussant les nuages loin d’ici. Pour en ramener des plus lourds, des plus bas, des plus gris. Ses oreilles pivotèrent vers l’arrière. Elle n’aimait pas les phénomènes climatiques. Il semblaient lui rappeler qu’elle n’était pas au dessus de tout. Et elle était persuadée d’être une déesse. A sa manière. Sans ailes dans le dos, sans éclairs à lancer. Mais la déesse de ton cœur.

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Le vent lui caressait ses flancs, puis ses épaules. Elle avait froid. Tout ce qui l’entourait lui semblait brusquement dangereux. Méchant. La cascade devenait une eau qui désirait broyer ses membres. Le vent semblait vouloir la tuer de froid. Les nuages voulaient l’étrangler de leurs gros doigts noueux. Hel était folle

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Inspiration. Profonde. Il fallait se calmer. Elle n’était plus une gamine. Mais son cerveau fonctionnait trop vite. Prenait trop vite peur. Il allait falloir régler cela. Et, alors que tout autre cheval serait aller se mettre à l’abri sous les arbres, elle restait là, alors que les premières goutes commencèrent à tomber. Elle résisterait. Elle était folle. Tout le monde cédait

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Nouveau regard à la grotte. Regard de défi. Elle ne lui faisait pas peur. Elle n’avait peur de rien. Elle materait ce renfoncement matériel comme elle avait maté les autres chevaux. C’était simple comme « bonjour »

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Sa peau tremblotait. C’était du gâchis qu’elle faisait là. Elle devrait s’époussettait après. Tant pis. Elle resterait là. Les éléments lui céderaient. Et c’était un spectacle presque fantomatique de la voir ainsi, debout, droite et raide, les crins s’envolant sous l’effet du vent, la robe mouillée par la pluie et les éclaboussures de la cascade, le teint devenant de plus en plus sombre, avec l’évolution des nuages

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Personne ne résiste à Hel

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La jument sursauta quand elle entendit cet espèce de .. De grognement. Horrible. Epouvantable. Son cœur s’accéléra, palpitant dans la cage thoracique. Ses yeux s’écarquillèrent, s’emplissant de sang. Ses membres tremblaient, et elle fit quelques pas en avant, dérangée dans son équilibre frêle par le vent. Sa peau, mouillée et collante, lui faisait comprendre à quel point il était urgent de s’abriter. Oui, peut-être. Sauf que le seul endroit pour s’abriter était la grotte. Et c’était justement de là que venait le grognement.

Chut, calme-toi, Hel. Oui, elle avait dit qu’elle n’avait pas peur de la grotte, et elle était déjà à se contredire. Non, ça n’allait pas. Elle se calma en fermant les yeux tant bien que mal. Voilà .. Les battements de son cœur ralentirent, laissant place à un calme qui ne pouvait durer. Lorsque ses yeux se rouvrirent, elle prit conscience de ce qui l’entourait. Le vent mugissait, la pluie devenait comme folle, projetant son eau partout autours de la jument, la cascade semblait occuper davantage d’espace hors de son lit que dans celui-ci. Oui, il allait falloir bouger. Les éléments lui avaient bien fait comprendre qu’il fallait s’incliner, pour cette fois

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Hel perd une bataille, mais pas la guerre

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Seule solution, la grotte. Son instinct de survie l’empêchait d’avancer, apeuré par le cri inhumain qui était sorti de cet orifice. Ses membres se braquèrent, son estomac se retourna, dans une souffrance insupportable. Ce cri l’avait remué jusqu’au plus profond de son être. Et ce n’était pas les circonstances qui l’entouraient qui allaient la calmer. Au contraire

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Calme. Yeux fermés. Déjà mieux. Résistant tant bien que mal aux éléments qui ne désiraient qu’à l’ébranler, elle réfléchissait. Deux options. La mort par noyade. Car le sol devenait meuble, se transformant en boue qui approchaient dangereusement le cours d’eau. Ou la mort à cause d’un être inhumain. La deuxième solution semblait la meilleure. Après tout, peut-être que n’était-ce que le fruit de son imagination. Comme pour l’odeur et le bruit de pas. Ou le vent qui avait soufflé. Au moins, elle serait au sec. Au
chaud

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Oui, mais il fallait parvenir à la grotte. L’eau de la cascade avait rendue les alentours trop trempés pour espérer un passage sans encombres. Pourtant, il fallait y aller. Malgré la protestation de son estomac, elle commença à partir en avant. Lentement, s’assurant de chaque prise. Les yeux exorbités, près à tourner le visage et son attention dès qu’il le fallait. Etat de crise

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Eau. Cascade. Mort. Oui, elle avait peur de mourir. Plus que tout. N’était-ce pas son instinct de survie qui lui avait ordonné cette vie de courtisane, vendant son corps pour être certaine que rien ne l’empêcherait de vivre ? Si, bien sur. Elle n’avait pas fait tout ces sacrifices pour mourir dans une eau tumultueuse

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Quelques mètres qui semblaient lointains comme jamais. Puis cinq. Puis quatre. Ses sabots trébuchaient à chaque pas, chaque centimètre gagné. L’eau lui caressait les jambes, comme pour l’attirer dans une étreinte fatale. Non, elle ne tomberait pas. Les éléments ne prendraient pas possession de son corps

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Puis, plus rien. Chaleur. Humidité. Mais plus d’éléments en folie. Elle était rentrée dans la grotte. Même son estomac se taisait, heureux d’un répit de quelques secondes. Elle avait réussi

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Veni, vidi, vici. Ou presque

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-Je vous ai fait peur ?

Elle ne s’était pas trompée. Il y avait vraiment eu une odeur. Odeur qui imprégnait cette grotte. Cependant, ce n’était pas une odeur d’une bête qu’elle ne connaissait pas, non, c’était l’odeur d’un cheval. Etalon. En chairs et en os.

La colère prit possession de son être. Il avait osé se jouer d’elle, en lui faisait peur. Ses dents se serrèrent, en crispant la mâchoire de la jument. Elle n’appréciait pas du tout. Mais alors là, absolument pas. Sale bête. Il allait voir

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Pourtant, elle se calma. Il fallait être sage, calme. Il fallait que tout se passe comme d’habitude. Juste un départ différent cette fois-ci. Elle ferma les yeux, le temps de s’habituer à l’obscurité qui l’entourait. Privée de sa vision, elle ressentait davantage ce qui l’entourait. Plutôt, ce qu’elle ressentait. Les gouttes de pluie coulaient doucement de sa robe, formant une flaque autours d’elle. Oh, bien sur, elle aurait pu se secouer. Mais elle aurait mouillé l’être qui était dans la grotte, elle en était certaine. Et ça aurait été une mauvaise idée. Elle sentait une espèce de vent autours d’elle, comme une respiration qui venait d’elle ne savait où. Bien, il semblait jouer à cache-cache

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Ses yeux se rouvrirent, en agrandissant ses prunelles. Peu de lumières, ici. Et l’orage à l’extérieur n’arrangeait pas les choses. Elle se sentait extrêmement vulnérable. Et trempée. Pourtant, il allait falloir surmonter tout cela. Il lui avait parlé ? Bien. Dernière respiration avant de parler, histoire d’avoir la voix attendue

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« Ne joue pas à ça avec moi. »

Elle n’avait jamais vouvoyé qui que ce soit. Le tutoiement était bien plus proche .. Murmure à peine audible. Caresse sur quiconque entendait cette voix. C’est qu’elle connaissait son numéro, Hel. Après tout, ce qui comptait n’était pas les paroles, c’était le ton. Elle avait dit des choses atroces à certains de ses esclaves, sur un ton doucereux, qui les avait envoûté.L’imagination faisait le rester

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Elle remua sensiblement sa tête et son poitrail, afin de laisser son odeur envahir les alentours. Celle-ci, rendue plus intense avec l’eau qui trempait la jument, s’éparpilla. Musc. Mystère. Essayes donc de résister, chéri

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Que faire d’autre ? Hm. Elle avait déjà fait la voix, l’odeur. Le visuel comptait il dans ce lieu sans lumière ? Elle se contenta de rejeter ses crins en arrière, laissant s’échapper quelque gouttes d’eau dans le vide. Une chose l’agaçait, l’absence de contact. D’habitude, elle pouvait jouer avec l’autre, j’approchant, laissant quelques souffles bien placés.

Sauf que là, l’habitude cédait la place à la curiosité irrésistible.

-Jouer à quoi ?